DIX DE CHUTE

Des slips foudroyés dans le ciel. Ce plafond du Palais des Doges accroché sur un mur du Louvre est un souvenir rapporté par Bonaparte après ses campagnes italiennes. Du haut de l’Olympe, Jupiter foudroie les vices en pleine chute : l’hérésie avec ses récits calomnieux, la luxure formé par un couple enlacé, la corruption retenant ses pièces d’or et la rébellion détachant ses liens…

© Musée du Louvre, dist. RMN / Angèle Dequier

© Musée du Louvre, dist. RMN / Angèle Dequier

Venise, comme un parfum de Sicile

La cité a toujours eu bonne presse. Des siècles de gouvernance idéale où plastronnent les voiles et les sacs d’épices, où sonnent et trébuchent les ducats, où papillonnent les masques du carnaval… Pourtant, en se rapprochant un peu, la carte postale s’écorne. Dans cette république, pas de suffrage universel, de parlement, ni de juges indépendants. Il flotterait même comme un parfum de Sicile  répandu par 40 familles dirigeantes. Un parfum capiteux pour une ambiance capitonnée.

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Bouches de lion et langues de vipère

Silence. Le Conseil des Dix pénètre dans la salle d’audience du Palais des Doges. Ce comité exécutif incarne le pouvoir des familles. Autour de la table : cousins, grands oncles, neveux, gendres, arrière-petit-fils… Tas de ronce oligarchique. Ce sont eux qui nomment le doge, l’emblème du pouvoir de la Sérénissime. Pourtant, cette figure si fameuse, drapée dans un folklore de carnaval, ne décide rien sans les Dix. Le seul doge ayant tenté une sortie a vu sa tête rouler sur le pavé. Et pour cause : le Conseil prévient les crimes mettant l’Etat en péril et dépiste les gredins qui voudraient changer l’ordre des choses… Cette mafia, garnie d’informateurs secrets, a disposé dans la ville des boites-aux-lettres en « bouche de lion ». Chaque vénitien peut ainsi dénoncer son voisin de manière anonyme. Les Dix cultivent les peurs, un formole idéal pour conserver la tête du pouvoir.

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Coup de foudre haute tension

Comme un bon schéma vaut toutes les palabres (dixit le voleur bicorné), Véronèse est débauché pour produire une image convaincante qui va décorer la salle où seront jugés les déviants. Jupiter foudroyant les vices. On imagine l’accusé – fraîchement dénoncé par courrier anonyme – tremblotant dans la salle d’audience. Pourquoi se retrouve-t-il face à cette dizaine de juges en chapeau noir et toge rouge ? Ces ayatollahs de lagune lui édictent les preuves sorties de la « bouche au lion » griffonnées par un voisin trop jaloux du succès de sa boutique à épices. Les accusations sont épaisses comme un bâton de cannelle mais qu’importe, les Dix votent sa chute. Levant les yeux au ciel pour implorer une force qui le sortirait de cette vilaine farce, l’accusé remarque alors tous ces slips foudroyés par un barbu autoritaire. L’image est sans appel : il sera le prochain à choir foudroyé du coton de l’Olympe, condamné à mort par noyade dans les eaux de la lagune. Un vrai coup de foudre à Venise. Sous la gondole exactement. Pas à côté, pas n’importe où,  juste en dessous…

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Jupiter punissant les vices
Paolo CALIARI, dit VÉRONÈSE

1556
Salle de La Joconde 

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