Ô VOLEURS

Les Oiseaux de Braque s’échappent d’une aile du Louvre. Ces silhouettes raffinées trouvent sans doute le décor de la pièce trop compliqué. Honnêtement, ça se comprend. Dans l’Antichambre d’Henri II, il règne une ambiance de grenier géant. Le parquet grince comme un genou de rhumateux et les vitrines exposent une argenterie qui peine à étinceler. Au plafond, les boiseries ciselées au millimètre compliquent un peu plus l’ambiance. Un gros bruit de ciseaux que ça fait. En cherchant un peu de calme, le regard retombe vite sur les oiseaux qui coupent le son, à leur façon.

© Musée du Louvre/A. Dequier

© Musée du Louvre/A. Dequier

Une salle d’attente sans rdv

Le plafond date de 1557. A l’époque, le Louvre est lifté pour devenir un château de cour. Donjon, tour de garde et pont-levis finissent aux oubliettes. Désormais, la science bat la mesure, l’Homme dans la Nature, le Moyen-âge à la revoyure… Le roi Henri II vit ici. Ce plafond décore la salle d’attente où trépignent ses rdv : un pasteur protestant qui supplie un édit de clémence, un artiste italien avec book et CV pour postuler à Fontainebleau, un ambassadeur espagnol négociant une trêve, un bourgmestre ultra catholique qui gratte des subventions pour une potence sur sa Grand’Place… L’espace ouvre sur les appartements du roi : la chambre, la salle de conseil, le cabinet et la garde-robe où s’affairent valets, barbiers, chirurgiens, pâtissiers des chiens… Un remue-ménage imperceptible pour les pas-perdus de l’antichambre. Mais le roi est-il seulement au Louvre ? Peut-être chasse-t-il sous les perdrix de Montmorency ou sur les plumes de Diane de Poitier. Ca sent la panne de réveil à plein nez et le café-croissant sur l’oreiller. Les rendez-vous de la journée ? Oubliés.

Une cage dorée pour éblouir les oubliés

Mais comme Henri n’est pas un ingrat, il partage les croissants. Il commande un décor de salle d’attente première classe avec l’emblème de sa branche Orléans. Un Croissant de Lune garni de sa devise : Donec totum impleat orbem (Jusqu’à remplir le monde entier). Dans une version moins enlevée, la chose signifie : Un jour, petit deviendra grand. Lui, Henri, le petit cadet ignoré par son père, est parvenu au pouvoir. Il a de quoi plastronner sous le pourpoint et s’afficher en grandes lettres sur les murs, dans le goût de l’époque. A la Renaissance, les arts déco visent la surcharge : mobilier torsadé, faïence lustrée, compotier glaçuré… Enfermés dans leur cage dorée, les oubliés éblouis peuvent tranquillement piétiner.

Le Louvre, en vol commandé

Au cours des années, la pièce connait pas mal de transformations. Tour à tour salle de banquet, salle de danse et salle de musée… Pourtant, si les oubliés sont partis, il est toujours resté une odeur de renfermé. En 1953, le Louvre demande à Braque d’aérer la cage dorée. Le décor Renaissance passe à la trappe. Une trappe un peu spéciale qui découvre une douce nuit. Depuis quelques années, l’artiste cubiste a délaissé les angles compliqués, les arêtes rugueuses et les surfaces brun ocre. Après deux guerres mondiales, Braque a des envies de colombes. Des colombes ou autre chose d’ailleurs, pourvu qu’on profite d’un doux vol plané. Rien à voir avec un vol de Joconde. Le Louvre ne propose plus les expériences Faits divers à lire debout, crispé, serré dans l’omnibus. Le vol de Braque, c’est autre chose. Ca tient du voyage intérieur. Le genre de voyage qui donne envie de s’allonger, bras écartés en attendant le café-croissant sur l’oreiller.

LOUVRE-RAVIOLI

 

Les Oiseaux
Georges BRAQUE. 1953
Antichambre d’Henri II
Aile Sully

 

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