COMMENT RAPPROCHER LES OEUVRES DES REGARDEURS ?

COMMENT RAPPROCHER LES OEUVRES DES REGARDEURS ?

En juin 2023, j’ai lancé mon programme vidéo : La Toile Percée. Ce format propose une immersion originale parmi des grandes œuvres d’art pour tenter d’en saisir les symboles plus ou moins cachés. Vous y retrouverez bien sûr l’esprit des chroniques Louvre Ravioli dont je me suis inspiré pour l’écriture des différentes trames.

Le 3 octobre 2023, j’organisais une conférence pour promouvoir la chose. Cette table ronde m’a permis d’inviter Côme Fabre (conservateur des peintures françaises du XIXe siècle au département des peintures du musée du Louvre) et Mariette Darrigrand (sémiologue et fondatrice du Laboratoire des Mots) pour parler de transmission et d’interprétation des oeuvres d’art. Les débats étaient animés par Christine Martin.

Je me permets de vous partager ci-dessous la trame de nos échanges, de façon très lapidaire. Vous ne trouverez pas là un contenu très agréable à lire. Il s’agit simplement de vous partager les questions qui me fascinent quand je plonge dans une oeuvre et de voir comment les intelligences d’une sémiologue et d’un conservateur peuvent tisser des liens éclairants.

TEMPS 1 : Sur l’oeuvre à voir, à mettre en mouvement

– Sur l’art et le sacré, l’oeuvre intouchable :
Dans l’approche des œuvres, et leur enseignement, il y a quelque chose de figé et d’absolu qui sacralise les oeuvres qui deviennent des icônes, immuables. L’espace du musée, silencieux comme une église, contribue à cet aspect des choses. L’oeuvre doit être admirée, en silence. Dans cette situation, sommes-nous seulement spectateur ou est-il possible de devenir acteur ?

– Les oeuvres sont pourtant des objets qui bougent :
Toutes les œuvres sont décrochées, examinées, grattées, etc. Les icônes voyagent, l’art bouge.
A cette occasion, Côme Fabre reviendra sur les récentes restaurations des grands formats de Delacroix et la réapparition des couleurs et de certains repeints. Les œuvres sont alors revues, repensées, re-imaginées.

– Sur la nécessaire désacralisation des images (et des artistes ?) :
On ne sait pas tout d’une oeuvre. Chacun peut s’autoriser à entrer dans l’oeuvre, à la bousculer. Explorer la zone grise du “peut-être” située entre le savoir (documenté, scientifique) et les anachronismes délirants / les interprétations irrecevables. Trouver le juste équilibre, avec cette distinction nécessaire entre nos préjugés des intentions de l’artiste, ne pas se leurrer pour rencontrer l’original. Ecouter son regard librement, s’affranchir de la chape académique parfois limitante.

TEMPS 2 : Sur la posture du regardeur

S’autoriser à lire les images :
Les chefs-d’œuvre intimident, plus qu’ils n’impressionnent. Cf le cadre muséal évoqué précédemment. A force de trop respecter, on ne rentre pas dedans. Il faut se détacher d’une soumission inconsciente, ne pas être trop soumis au chef d’oeuvre. Pour s’en rapprocher, il faut les désacraliser, les décrocher mentalement. Quelle est la juste distance pour le dialogue avec l’œuvre ?

(re)Faire confiance à son œil :
Tout le monde n’est pas “sachant” ni “esthète”, mais tout le monde a des yeux. L’observation et la perception ne demandent aucun savoir. Bien considérer le point de départ :“Qu’est-ce que vous voyez ?” // Qu’est-ce que l’artiste vous donne à voir ?” Réécouter son Oeil, être à l’écoute de ses sensations, de ses étonnements (à distinguer du “beau” / de la dictature de l’émoi). Le “j’aime/j’aime pas” provoque des situations de rejet par simple instinct grégaire. Le terrain fertile concerne davantage le “voir” et “savoir” / le “connaître” et “reconnaître”.

Sur les perceptions changeantes au fil de l’histoire :
L’œuvre est faite par le regardeur qui est bercé par son époque. Bien des œuvres ont vu des interprétations basculé d’une époque à une autre. Face aux fake news, aux fausses images, le regardeur est méfiant. Une quête de vérité, de sources ? Le regardeur en 2023, une exigence de preuve accrue ? Renvoie au rôle d’une œuvre d’art : L’art est-il là pour informer ? Dans quelle mesure ? Quelle autre forme de sincérité exige-t-il ? Nécessité de distinguer les matières artistiques et documentaires, le rôle de chacun.

TEMPS 3 : Combien de temps est nécessaire pour faire connaissance ?

Quel temps est nécessaire pour vraiment faire connaissance avec une œuvre ?
Combien de temps faut-il pour se rapprocher des œuvres, créer une familiarité, faire connaissance.

Mise en lumière de l’enjeu pédagogique sur la durée des formats.
Face aux formats toujours plus courts imposés par les réseaux, quelle incidence sur la capacité à entrer dans une œuvre, à se laisser embarquer dans une histoire ?
Quel temps minimum pour faire le tour d’une œuvre ? En terme neuroscience, quelle capacité du cerveau pour entrer dans une histoire ? Partage d’anecdotes pour éveiller la curiosité ou zoom sur l’œuvre pour susciter l’émoi ne demandent pas le même temps.
L’approche de la Toile Percée n’est pas dans l’immédiat du “beau ressenti”. Ce serait plus proche de l’amitié que du coup de foudre, même si il y a une envie de provoquer une sidération de la “re-connaissance”.

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