L’OR DE VÉRITÉ
La femme hydropique

“La femme hydropique” de Gérard Dou © Musée du Louvre, dist. RMN – Grand Palais / Angèle Dequier

Au Louvre, l’exposition “Vermeer et les maîtres de la peinture de genre” nous présente certaines oeuvres de Gérard Dou. Sa spécialité ? De minuscules narrations comme la Ménagère et le Peseur d’Or. Avec La Femme Hydropique (1663), le maître de la peinture « fine » nous présente un salon de 68 cm où l’on découvre un médecin en pleine analyse d’urine. Un cadre XXL pour Dou, l’équivalent des Noces de Cana pour Véronèse. Sauf qu’il faudra 10 mètres de long au vénitien pour présenter Jésus transformant l’eau en vin. La mécanique des fluides racontée par Gérard Dou est moins grandiloquente mais suffisante pour faire passer son message, spirituel.

La femme hydropique

© Fred Janelt “Plouf !” (Wipplay.com)

La consultation à domicile

Le rideau à peine levé nous fait découvrir la pièce qui se joue. Sur scène, les différents personnages déroulent leur partition : la malade éperdue est soutenue par sa fille à genoux alors que la servante est aux petits soins. Debout, au milieu du salon, un médecin scrute les urines de Madame à la lumière de la fenêtre. On imagine un Sganarelle indécis, fadé d’étoffes bien épaisses pour recouvrir son savoir approximatif. Il tient la fiole dorée dans sa main. Traversé par le soleil, le liquide devient précieux comme l’or tout comme l’ensemble du décor.

Gérard Dou metteur en scène bling bling ? Chaque objet ornant le salon est un travail d’orfèvre : lustre aux reflets patinés, pupitre de Bible sculpté au millimètre, bassine marbrée sur trépied, rideau aux broderies chamarrées… Jusqu’à la mousseline d’un baldaquin situé au fond de la pièce, tout est présenté avec une extrême précision. On entendrait presque le tictac de l’horloge accrochée près de la fenêtre. La fenêtre éclaire la scène et donne la réplique, brillamment. Ses rayons font pâlir un peu plus Madame. La nauséeuse attend son verdict, mais quel verdict ?

La femme hydropique

© Bruno Blais “Le Salon” (Wipplay.com)

Le titre de Femme hydropique est mal choisi nous dit-on car cette patiente ne souffre d’aucune insuffisance cardiaque… D’où lui viendrait cette pâleur ? Serait-elle nauséeuse ? Enceinte ? Diabétique ? Victime d’une chaude pisse ? On ne sait pas. L’incertitude pèse pour la petite fille qui supporte sa mère à chaudes larmes alors que la servante tente de faire boire son sirop à la malade. Ces visages forment un triangle anxieux qui fait écho à trois autres sphères du salon : la sphère du pupitre sculpté au millimètre, la sphère du lustre doré et la fiole d’urine.

Un féminin très singulier.

Depuis la Réforme, le statut des femmes s’affirme. Elles doivent savoir lire pour apprendre dans la Bible les volontés divines qui les concernent. Il s’agit aussi d’élever chrétiennement ses enfants. Pour Calvin, cela signifie que la mère doit être au même rang que le père pour « traiter humainement les enfants ». Père et mère sur le même niveau éducatif mais pas seulement. Dans la Hollande du XVIIe siècle, la femme est aussi soumise aux mêmes tiraillements que les hommes. Dans ce pays en pleine croissance qui voit fleurir les capitaux grâce aux échanges commerciaux, on peut s’offrir tous les plaisirs. Entre morale calviniste et bons plaisirs, il faut choisir.

Les Adam et Eve bataves doivent faire le grand écart. La peinture hollandaise du XVIIe ne va pas se priver de révéler ces contradictions, chez la femme notamment. Gérard Dou – comme Rembrandt, Vermeer ou Steen –  vont la présenter sous des facettes contrastées. En figure tutélaire du foyer, elle est cette mère consciencieuse qui veille à l’éducation de ses enfants dans son intérieur bien rangé. D’autres situations nous la présentent dans un rôle moins vertueux : en servante pelotée à la kermesse du village, en bonne soeur chapardeuse, en fille de joie aguicheuse.

La femme hydropique

© Bertrand Vacarisas “En l’air 3” (Wipplay.com / www.bvacarisas.com)

Entre ces extrêmes, des leçons de morale plus subtiles vont profiter d’une leçon de piano ou de l’arrivée du médecin. L’essor de la médecine va offrir aux artistes un nouvel angle pour évoquer les plaisirs de la vie. Le mireur d’urine en fait partie, et pour cause : en observant la couleur de l’urine, il va tenter de pronostiquer une grossesse ou certaines maladies de chair. Un ouvrage paru en 1501 énonce d’ailleurs le diagnostic lorsqu’on présente le précieux flacon face au ciel : « Quant tu verras en l’urine de petites flammettes et petites estincelles comme il appert en la raye du soleil luisant parmy la maison, signifie engrossement ». Reste à confirmer le diagnostic de Gérard Dou auprès de sa patiente éperdue.

Le silence est d’or ?

En se rapprochant de la fiole, certains voudront peut-être jouer aux apprentis médecins. Verront-ils des petites flammettes et estincelles au fond du flacon ? Vu la densité du précipité – blond comme une bière brassée plusieurs fois – on aurait tendance à pronostiquer l’engrossement, voire une très chaude pisse… Pour gagner en transparence, Madame devrait peut-être boire un peu d’eau. Il y a cette jolie aiguière au premier plan, lovée dans une bassine de marbre. De quoi s’hydrater le corps et peut-être même davantage… Car si l’on en croit les Écritures, l’eau purifie l’âme et lave les péchés.

La Bible grande ouverte serait-elle là pour exposer la sainte morale ? Petite piqûre de rappel pour notre malade, pâle comme une Immaculée Conception très peu crédible. Au-dessus d’elle, une branche de vigne rentre dans l’intérieur de la pièce chauffée par un brasier. S’agit-il d’un départ de flammes infernales ou des feux faiblissants d’une passion consumée ? Un lit à baldaquin nous révèle la couche toute proche… Madame regarde par la fenêtre. Tenterait-elle de quitter ce lieu aux mille vanités ? Son intérieur est rempli de richesses, ces matérialités inutiles face au temps qui passe à coups de tictac.

La femme hydropique

© Anna Pavie “Sans Titre” (Wipplay.com)

Le pupitre, le lustre et le flacon d’urine reprennent le triangle dessiné par la fille, la servante et la malade. La jeune fille – innocente et pure – est à genoux alors que la servante auréolée est debout, très haut placée comme le lustre. Elle sait tout des cachoteries de sa maîtresse si peu sereine. Madame connait-elle déjà le verdict ? Passée directement de l’urinal au confessionnal, elle pourrait bien implorer le pardon auprès de la divine lumière. Mais vu de près, son regard semble chercher celui de la servante. L’implore-t-elle de ne rien dire à sa fille ? Les yeux de la servante tournés vers la petite ne sont-ils que compassion ? Elle pourrait bien soupirer dans son for intérieur : “Si tu savais ma pauvre chérie...” Dans ce silence doré, le jeu de regards est compliqué. Les estincelles s’interprètent de mille façons, à chacun de faire son diagnostic.

Louvre Ravioli

* Si vous aimez l’article, n’hésitez pas à le partager. C’est comme la chaude-pisse, ça se refile facile. Pour discuter & réagir, n’hésitez pas à écrire en bas de page ou sur ma page FaceBook. // N’oubliez pas de cliquer sur les textes en gras, de “l’icono cadeau” se cache dessous. //  La toile est accrochée à l’exposition “Vermeer et les maîtres de la peinture de genre” jusqu’au 22 mai 2017.

** Sources : La notice du Louvre par Adeline Collange  // “La civilisation du Siècle d’or aux Pays-Bas” par Christophe de Voogd (IEP de Paris) //”Rôle des femmes protestantes au XVIe – XIXe siècle”  via Le Musée virtuel du protestantisme // “Le diagnostic de grossesse au temps des mireurs d’urines” par Jean CHEYMOL (Université Paris Descartes) // Le doc Arte “La revanche de Vermeer” avec plein d’infos sur le Siècle d’Or Hollandais, un régal // Les images sont l’oeuvre des photographes de Wipplay.

**** Lire aussi : “FLOTS ET USAGE DE FLOTS”, sur une autre mécanique de fluide, plus politique cette fois. // “L’AUBERGE DE FIN DE JEUNESSE” où une bonne soeur dépouille l’enfant prodigue.

5 Comments L’OR DE VÉRITÉ

  1. nathalie

    Un tableau qui est aussi important pour la littérature française : c’est grâce à lui que Pierre Grassou, dans la nouvelle du même nom d’Honoré de Balzac, a la révélation de son “talent” : en réalité Balzac (qui n’y connaissait rien en peinture) dresse une satire des prétentions artistes des nouveaux bourgeois…

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    1. Ducati

      Madame, j’adore votre formulation mais je n’ai malheureusement pas suffisamment de connaissances littéraires pour bien vous saisir, pouvez vous citer les commentaires de hdeB…

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  2. Pingback: HAUT ? ET UN ? BON ! - Louvre-Ravioli

  3. Ducati

    Mais qui est cette femme ?
    Le tableau est une mignature ou quelle taille
    Ou était exposé ce tableau entre 1746 et 1781, qui aurait pu le détenir, une découverte s’annonce….

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