L’ORACLE DE DELFT
L'Astronome ou plutôt L'Astrologue

VERMEER “L’Astronome ou plutôt L’Astrologue” (1668) – Musée du Louvre

L’Astronome ou plutôt L’Astrologue (1668). Voilà un titre qui hésite entre deux options pourtant bien distinguées par le dictionnaire : « Astronomie (n.f.) : Science qui étudie les positions relatives, les mouvements, la structure et l’évolution des astres » – « Astrologie (n.f.) : Discipline ayant pour objet l’étude des corrélations entre la configuration, la qualité propice ou néfaste du ciel géocentrique lors d’un événement terrestre, d’une part, et la nature, les développements de cet événement d’autre part. »
Alors s’agit-il d’un astronome ou d’un astrologue ? Ce genre de tâtonnement est assez inhabituel pour un cartel. Face à cette originale indécision, le visiteur va devoir se faire sa propre opinion.

L'Astronome ou plutôt L'Astrologue

© SEBASTIEN.MARCHAND “DOUBLE-ELLE” (Wipplay.com)

Un travailleur de nuit

Les intérieurs de Vermeer présentent souvent une pièce percée par une fenêtre sur son flanc gauche. Invariablement, une diagonale douce fait briller le modèle – féminin le plus souvent : travailleuse, musicienne, coquette, amoureuse… L’astronome fera exception, même si Vermeer lui conserve des cheveux longs. Dans ce lumineux cabinet, le savant s’agrippe à la jungle d’une draperie épaisse tout en pointant son globe. Cette nappe décore le premier plan qui se prolonge confortablement grâce à la robe de chambre en soie « japonaise » du savant. Certaines allégories de Vermeer sortent du même vestiaire.

L’identité du sujet reste inconnue. On devine un homme de sciences bien chargé, tout comme cette table recouverte d’un compas, d’un astrolabe et d’un grand manuel d’astronomie pour explorer la nuit. L’astronome a accroché sur son armoire un cadre comportant trois cercles hérissés d’aiguilles qui fusent dans tous les sens. Serait-ce un planisphère astronomique réglable en fonction de la date et de l’heure ? L’astronome est trop concentré pour nous répondre. Il vient de se lever pour consulter l’une des constellations de son globe céleste. Sur cette nuit en miniature, les plus curieux reconnaitront la Grande Ourse, le Dragon, Hercule ou la Lyre

L'Astronome ou plutôt L'Astrologue

© DRABFAB “ASTRONOMY” (Wipplay.com)

Ce globe céleste est l’œuvre de Jodocus Hondius. Il était vendu avec son équivalent terrestre que Vermeer représente dans Le Géographe – une autre toile savante. Les similitudes entre les toiles sont nombreuses : compositions, chevelures, globes, robes de chambre, nappes luxuriantes… Jusqu’au compas ouvert dans la main du Géographe qui reprend les aiguilles de l’armoire de notre Astronome. Cependant, un élément de décoration intrigue : alors que Le Géographe a logiquement décoré son cabinet avec une carte de Hollande, notre astronome a choisi un Moïse sauvé des eaux. Pourquoi donc ? N’y avait-il pas plus proche que le sauvetage d’un prophète (pas encore barbu) pour l’inspirer dans son travail ?

Sur la Terre comme au ciel

Le XVIIe siècle est l’âge d’or hollandais. Les navires de la Compagnie des Indes sillonnent tous les océans du globe, vers ces lointains tropiques où poussent de larges feuilles bien grasses. Les bateaux promènent encens, épices, tissus, esclaves… Les cités hollandaises s’enrichissent. Dans les rues de Delft et Amsterdam on croise banquiers, commerçants et armateurs qui ne manqueront pas de commander leur portrait aux maîtres du moment. Tous ces nouveaux riches peuvent remercier l’astronome qui a rendu possible la globalisation des échanges. Désormais, les bateaux peuvent traverser tous les océans en relevant la position des étoiles, ces bouées du ciel.

L'Astronome ou plutôt L'Astrologue

© BEN65 “STOCKER LES ETOILES” (Wipplay.com)

Depuis le XVIe siècle, les sciences se développent beaucoup en terres protestantes. Le dogme catholique empêchant quelques changements de référentiel, les scientifiques s’exilent chez leurs sponsors protestants, des ducs désireux de développer la science et leur prestige. Vers 1530, Nicolas Copernic propose un nouveau modèle de l’univers qui va défrayer la chronique et défriser le pape : c’est le soleil et non la Terre qui est au centre de notre univers. Cerise sur le gâteau : cette Terre-là bouge. En 1609, l’astronome allemand Johannes Kepler confirme l’hypothèse et prouve les trajectoires elliptiques des planètes autour du soleil. Étonnamment, ces lois fondamentales issues de mesures précises n’excluent pas des croyances plus approximatives.

Ainsi, Kepler interprète les mouvements des planètes comme un message divin : la position des étoiles permet d’expliquer ce qui arrive aux hommes. Voilà l’astrologie qui se rapproche de l’astronomie, voilà les grands ducs sponsors qui se rapprochent de leur savant conseiller pour chuchoter leurs curiosités : « Mon territoire va-t-il s’étendre l’an prochain ? » « Vais-je avoir un garçon ? » « Mon cher frère aîné va-t-il bientôt mourir ? » Il y a quelque temps, Nostradamus offrait ses visions futuristes à Catherine de Médicis : travail sérieux, honnête, discret. Premiers résultats sous 3 jours… La figure du gros barbu prophétique poursuit son chemin, mais qu’en est-il pour le chevelu imberbe de Vermeer ?

Se faire tirer la carte

Très influencés par le titre de l’oeuvre, certains verront plutôt l’Astrologue. Ceux-là s’imaginent une dame venue se faire tirer la carte, consultant un Nostradamus qui s’apprête à lever les inconnues de sa destinée. Le Moïse sauvé des eaux pourrait dans ce cas, illustrer la question : “Vais-je avoir un garçon l’an prochain ?” Pourquoi pas… Un autre regard – inondé d’humanisme Made In Renaissance et des futures Lumières 18e – pourrait aussi voir dans ce cabinet doré une personnification de la quête du savoir. Les rayons traversant la pièce suivent la disposition des livres sur l’armoire. Lumière et connaissance filent dans le même sens. Mais s’agit-il seulement d’une lumière humaniste, voire scientiste ?

L'Astronome ou plutôt L'Astrologue

© JEAN-BENOIT “CARTE” (Wipplay.com)

Le Moïse sauvé des eaux est accroché à la même place que la carte de Hollande décorant le cabinet du Géographe. La correspondance est loquace : tout comme les hébreux de Moïse sauvés par Dieu ouvrant la Mer Rouge, les Hollandais sont sauvés par leurs moulins repoussant la Mer du Nord. Les Bataves – ce peuple élu – pourraient voir leur Astronome comme un proche cousin de saint Augustin et saint Thomas d’Aquin qui rapprochaient le “comment” de l’existence (la science) à son “pourquoi” (la foi). Le manuel de l’Astronome – rédigé par Adriaen Metius – nous le confirme : ouvert au chapitre 3, il recommande aux savants de rechercher « l’inspiration divine ».

Notre chevelu imberbe a dû la trouver cette inspiration divine car il pointe son globe comme Jésus bénirait ses ouailles perdues. Finalement, ce guide éclaireur brouille les pistes. Qui est-il vraiment ? Un astrologue engagé dans une céleste échographie ? Un scientiste annonçant les futures Lumières ? Un astronome mu par une divine inspiration ? Entre croyances et connaissances, le coeur balance. D’ailleurs, le doigt de l’astronome pourrait bien être l’aiguille de cette balance. Il pointe la constellation de la Lyre – l’instrument d’Apollon qui symbolise la bonne mesure et l’harmonie du cosmos. Ne serait-ce pas ça, la prophétie de l’Oracle de Delft ? Agir en mesure pour préserver l’harmonie du monde… Voilà qui sonnerait assez juste.

Louvre Ravioli

* Si vous aimez l’article, n’hésitez pas à le partager au sein de votre cosmos… Pour discuter & réagir, n’hésitez pas à écrire en bas de page ou sur ma page FaceBook. // N’oubliez pas de cliquer sur les textes en gras, de “l’icono cadeau” se cache dessous. //  La toile est accrochée à l’exposition “Vermeer et les maîtres de la peinture de genre” jusqu’au 22 mai 2017, juste à côté du Géographe.

** Sources : La notice du Louvre de Stéphanie Koenig décrivant tous les outils de l’Astronome et la déco du cabinet // Le site “Essential Vermeer” avec une analyse interactive de l’oeuvre // Le doc Arte “La revanche de Vermeer” avec plein d’infos sur le Siècle d’Or Hollandais, un régal // Les images sont l’oeuvre des photographes de Wipplay.

**** Lire aussi : “Y’A PAS DE LÉZARD”, sur l’oracle de Delphes qui insiste à nouveau sur la bonne mesure des choses // “MAGIE ROSE“, sur une figurine utilisée pour tenter de lire son destin, amoureux.

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