FLOTS ET USAGE DE FLOTS

FLOTS ET USAGE DE FLOTS

©Musée du Louvre, dist. RMN / Hughes Dubois "Bassin ou Baptistère de Saint Louis"

©Musée du Louvre, dist. RMN / Hughes Dubois “Bassin ou Baptistère de Saint Louis”


Au Louvre, les arts de l’Islam sont recouverts par un toit de dunes. Bien loin de se perdre dans les sables, on s’y promène comme un sultan dans son palais. Céramiques fleuries, globe céleste, amulettes, moucharabié, brûle-parfums, pierreries… Dans ce décor de Mille Et Une Nuits, on est juste un peu déçu de ne pas voir voler les tapis. Tant pis. Les consolations sont partout et le regard – qui cherche toujours l’original – s’arrête devant un bassin d’ablutions appelé Baptistère de Saint Louis. Un nom assez intrusif par ici. Seraient-elles finies les rêveries de Shéhérazade ? On va devoir se parler de croisades ?
Et bien non, même pas. Évoquer cette vaisselle revient plutôt à se plonger dans une autre histoire, pleine de mystères aussi. L’histoire d’un rince-doigts mamelouk fabriqué à Damas qui va finalement servir de « fonts baptismaux » pour rois de France. Une trajectoire assez unique pour ce bassin parvenu à se faufiler entre les cultures grâce à de merveilleux malentendus.

©Jimmy Leva "En plongée" (Wipplay.com)

©Jimmy Leva “En plongée” (Wipplay.com)

Un bassin à double fond

Que ne lit-on pas sur ce laiton-là ? Le décor d’origine présente partout des frises chargées de fleurs et de lions. Cette surcharge bien ordonnée déroule les chapitres d’une histoire mamelouk oubliée. L’extérieur de l’objet illustre des scènes de chasse où sont traqués ours, lions et dragons. Quatre cavaliers galopent dans leur médaillon. Chacun est bien distinct et distingué : chignon, bouc, moustache, gilet, manches longues pour les uns turban, barbe, manches courtes pour les autres. Entre les chasseurs, une foule d’auxiliaires à pieds défile. Échanson, goûteur, maître de Garde-Robe… Certains tiennent un guépard en laisse d’autres se promènent avec un faucon sur la main ou une cigogne dans le dos. Pourquoi pas.

L’intérieur du bassin met en scène le pouvoir. Deux souverains mamelouks se toisent, chacun sur un trône porté par des lions. À leurs côtés, des soldats se découpent la gorge entre de jolies fleurs. Un décor très délicat qui ne parvient cependant pas à rivaliser avec le fond du font, le fin du fin. Les artisans y ont gravé une ronde de poisson spiralée, un vortex de faune aquatique qui pointe délicatement vers le centre. Chez les musulmans comme les chrétiens, cette ronde de poissons – vieille comme la pluie – symbolise la Fontaine de Vie. La composition quasi-abstraite semble produire les mêmes harmonies que les roues d’Alechinsky.

rondeter

Dès l’origine, ce décor oriental laissait aussi apparaître des inspirations européennes. En fait, tous ces personnages – aussi enturbannés soient-ils – sont la marque d’une commande européenne. Un pur produit de l’Islam aurait privilégié la calligraphie. D’autres détails plus pointus comme les lions dressés sur deux pattes, trahissent également une griffe occidentale… Ces inspirations variées donnent au bassin la profondeur de ces « objets-frontière » qui n’hésitent pas à mêler les cultures pour en produire de nouvelles.

©Sabine Raymond "Dôme oriental de Chambord" (Wipplay.com)

©Sabine Raymond “Dôme oriental de Chambord” (Wipplay.com)

Tribulations d’ablutions

Le bassin est réalisé vers 1300, par Muhammad Ibn Al-Zayn, artisan de Damas. L’artiste – sans doute très fier de sa feuille de laiton usinée à la perfection – a signé 6 fois son œuvre. En revanche, il va tout taire de son commanditaire…
À l’époque, les croisades se terminent. Saint-Louis est mort en 1271, lors d’une énième croisade à Tunis. À Jérusalem, les croisés ont détalé comme des latins, chassés par le sultan de l’époque et sa garde de mamelouks. Pas de bol pour le sultan, « ses » mamelouks vont ensuite prendre sa place sur le trône et diriger tout le Proche-Orient.

Face à cette nouvelle administration bien huilée et éclairée, vont subsister des avant-postes latins, gouvernés par d’anciens croisés reconvertis en châtelains. Ces gouverneurs de cailloux restent très proche-orientés. L’un d’entre eux – Hugues de Lusignan, seigneur chypriote – aurait ainsi commandé ce bassin aux ateliers de Damas. Une commande un peu spéciale avec beaucoup de personnages et des lions à l’occidental. Malheureusement pour le commanditaire, la cuve ne verra jamais Chypre et part décorer le palais du sultan mamelouk. Ce dernier trouvait-il l’objet trop beau pour le laisser filer ? Nul ne sait. Toujours est-il que le bassin confisqué se voit alors ajouter des fleurs de lys. La fleur de lys : symbole du pouvoir dans l’héraldique mamelouk. Oui, mamelouk. Une sacrée surprise pour notre capétienne de culture qui va avoir bien du mal à partager le symbole…

Après 200 ans de domination mamelouk, la roue de l’Histoire finit par tourner en faveur des ottomans. En 1517, ils écrasent le sultan d’hier et s’emparent de son trésor. Le bassin – qui figure au catalogue – part pour Constantinople. Un vrai dur à suivre ce bassin : réalisé à Damas pour un seigneur européen, puis décoré par le pouvoir mamelouk, le voilà parti chez les ottomans… Ignorant tout de son histoire, ces derniers ne vont pas se priver de compliquer sa trajectoire.

©Campanario "En équilibre" (Wipplay.com)

©Campanario “En équilibre” (Wipplay.com)

Flots et usage de flots

En 1540, les turcs de l’empire Ottoman connaissent leur apogée. Soliman le Magnifique est confortablement allongé en Méditerranée alors que François Ier est tout coincé, entre les anglais d’Henry VIII et les Habsbourg de Charles Quint. Pour sortir de l’étau, le roi renaissant va se rapprocher des ottomans. En pareille situation, on s’envoie des ambassades pour de belles embrassades et se faire de jolis cadeaux. Les émissaires turcs vont alors offrir au roi ce joli bassin fleurdelisé.
L’héraldique mamelouk s’étant évaporée dans l’Histoire, les ottomans pensent remettre un objet liturgique ayant appartenu aux croisés francs. Ravie par ce vieux présent venu d’Orient, la France se prend à fantasmer : La vaisselle aurait-elle appartenu à Saint Louis ? C’est évident. Ne s’est-il pas promené en Orient il y a quelques temps ?
Certains personnages figurés sur le bassin sont même pris pour des chrétiens persécutés par des musulmans… L’erreur se nourrit toute seule et grossit jusqu’à accoucher de ce titre malformé : Baptistère de Saint Louis. Sans doute l’un des titres les plus bancals affichés au Louvre.

De gros titres au Louvre-Ravioli

De gros titres au Louvre-Ravioli

Placé dans la chapelle de Vincennes, le bassin mamelouk va finalement servir de fonts baptismaux ! La belle Histoire. En 1606, Henri IV décidera même de faire baptiser son fils Louis XIII dans ce Baptistère de Saint-Louis pour ancrer sa nouvelle dynastie Bourbon dans la droite lignée capétienne. Superbe malentendu qui parvient à mêler des cultures confortablement éloignées. Après Louis XIII, les petites têtes royales viendront souvent s’y bénir. En 1821, on fera ajouter à l’intérieur du bassin les armes de France (avec du lys capétien cette fois-ci). Ultime customisation d’un objet dans lequel tout semble devoir se mêler. Comme dans une ronde de poissons, comme dans un tourbillon qui rapprocherait les cultures. Mais ce rapprochement est-il si extraordinaire finalement ? Car partout, l’eau est Fontaine de Vie, à Damas comme à Paris.

Louvre-Ravioli

>>>> Si vous aimez les histoires teintées d’ironie, vous pouvez aussi lire « L’ironie du fort »
>>>> Si vous aimez les objets qui traversent les mers, vous pouvez aussi lire « La main au culte »
>>>> Si vous aimez les images, vous pouvez les retrouver sur Wipplay.com
>>>> Si vous aimez l’article, vous pouvez le partager (ce serait chic !)

1 Comment FLOTS ET USAGE DE FLOTS

  1. Pingback: L'OR DE VÉRITÉ - Louvre-Ravioli

Comments are closed.